La culotte à l’envers

Regards sur notre monde

Mon banquier est un bel enfoiré

Posted by samlegrand sur 11 octobre 2008

Des pièces de monnaie bien encombrantes.
Des pièces de monnaie bien encombrantes

C’est un temps qui semble déjà si loin. Une ère oubliée où George W.Bush et Nicolas Sarkozy ne s’étaient pas encore convertis au communisme. A cette époque, les pages des journaux n’étaient pas assez larges pour y inscrire les bénéfices de l’UBS, Pierre Mirabaud astiquait fièrement sa moustache au volant de sa Jaguar dans les rues de Genève et Hans-Rudolf Merz nageait, comme oncle Picsou, dans sa piscine remplie de « Vrenelis » au sous-sol de la place fédérale.

Bref, il y a un peu plus d’une année, je suis allé voir mon banquier pour la dernière fois. Banquier est peut-être un bien grand mot pour désigner le trentenaire BCBG posté derrière le guichet de la succursale de ma banque cantonale. Toujours est-il que ce jour-là, ma vie a basculé à jamais.

Mon excursion à la banque avait un but louable. Mes proches savent que j’ai une fâcheuse tendance à accumuler les pièces de monnaie au fond de mes poches de pantalon. A l’heure de la lessive, un tri s’impose si je ne veux pas m’attirer la foudre des autres locataires de l’immeuble. Toutes les piécettes sont ainsi systématiquement déversées dans une chope de bière piquée un soir d’ivresse dans un bar de mon village natal.

C’est donc muni de ce butin, accumulé durant de longues années de fréquentation assidue de bistrots et de fêtes populaires, que je me rends à la banque du coin. Après avoir déversé, dans un fracas assourdissant, mes centaines de piécettes au creux de la gorge affamée de la machine à ingurgiter le pognon, il en ressort un vulgaire morceau de ticket, sur lequel je peux lire fièrement le montant de ma fortune: un peu plus de 250 francs, tout de même! A retirer sans attendre au guichet.

C’est là que les choses se compliquent. Mon banquier, on l’appellera Marcel, me demande alors si je désire retirer cette jolie somme en liquide ou la verser directement sur mon compte en banque. Je lui réponds que la 2e proposition fera bien l’affaire. Après quelques manipulations sur son ordinateur, Marcel me lance, sur un ton mêlé de moquerie et d’ironie: « Monsieur, vous avez déposé tout votre argent sur votre compte-courant. Ce n’est pas idéal. Les intérêts y sont extrêmement bas, vous devriez penser à diversifier votre épargne ».

Noyer son chagrin boursier dans la bière
Noyer son chagrin boursier dans la bière

Un sentiment mêlé de honte (qu’est-ce que je suis idiot de laisser ma fortune, quelques bons milliers de francs tout de même, végéter dans le sous-sol de ma banque) et de colère (non, mais, de quoi je me mêle, je suis juste venu ici pour me séparer d’un kilo et demi de métal un peu encombrant) m’envahit alors. « Oui, oui, c’est vrai, ça fait déjà longtemps que je désire ouvrir un compte-épargne. Est-ce que c’est possible de le faire maintenant, Monsieur Marcel? ».

« Pas de problème, ce sera fait dans deux clics de souris. Mais savez-vous que nous avons également d’autres produits beaucoup plus intéressants pour notre chère et aimable clientèle? », me demande-t-il, sur cet air arrogant et hypocrite inhérent aux gens du métier que pratique Marcel . « Le boursicotage, c’est pas trop mon truc, je me contenterai d’un compte-épargne », lui réponds-je alors un peu agacé.

« Pour les investisseurs prudents (comprenez les poltrons de votre espèce), nous avons des fonds de placement sans risque et qui rapportent bien plus qu’un compte-épargne », insiste-t-il. Pour couper court à une discussion commerciale sans intérêt, rien de mieux qu’un « je vais y réfléchir, donnez-moi de la documentation ».

C’était oublié que le banquier fait partie de cette espèce de prédateurs qui ne lâchent jamais prise. « Mais Monsieur, nous avons une offre exceptionnelle sur un fonds de placement qui échoit demain. Ca serait vraiment dommage de rater cette belle affaire. Je vous garantis que c’est sans risque, que vous pouvez vendre vos parts quand vous le désirez, que vous avez encore 7 jours après la souscription pour annuler l’achat, et bla et bla et bla et bla… ».

Soûlé par les trop longues minutes passées en compagnie de Marcel et pressé de quitter cet endroit qui décidément ne me sera jamais familier, je cède telle la proie acculée au bord du ravin. « D’accord, mettez-moi quelques parts de ce fond. Puisque vous m’assurez que c’est sans risque, je pourrai toujours voir par la suite ce que j’en ferai ». Il n’en fallait pas tant pour que Marcel dégaine son stylo « Mont Blanc » et me fasse confirmer illico presto sur papier les paroles qui venaient de sortir sans avertir de ma bouche.

Autant vous dire que je ne faisais pas le fier en rentrant à la maison. Moi, celui que tous les enfants de bonne famille qui fréquentaient la faculté des sciences économiques de l’université de Neuchâel traitaient de gauchiste parce que je trouvais plus pertinents les préceptes de John Maynard Keynes que ceux de Milton Friedman, moi qui refusais de mettre mon argent à l’UBS et au Crédit Suisse et qui critiquais les camarades de classe qui parquaient leur Audi TT sous les fenêtres de l’auditoire, oui, moi, samlegrand, j’avais cédé aux sirènes du capitalisme le plus primaire.

Certes, mes proches tentèrent de me rassurer. Oui, j’avais bien fait d’investir dans ce fonds vraiment très sûr, tous les gens sensés mettent leur argent en bourse à l’heure actuelle. « De toute façon, tu n’as pas le choix, même l’argent de ta retraite est investi dans les plus grandes multinationales américaines, celles-là même que tu fustigeais lorsque tu descendais dans la rue pendant le WEF à Davos ».

Mais malgré toutes ces paroles de réconfort, au fond de moi, le sentiment de culpabilité ne m’a jamais quitté. Alors aujourd’hui, quand je constate que mon fond sans risque et très rentable m’a fait perdre plus de 500 francs en une année, je trouve que le monde est quand même bien fait et qu’une certaine justice existe. Je suis rassuré sur les sentiments qui m’animaient lorsque j’ai cédé aux avances de mon banquier. Oui, Marcel est un bel enfoiré, comme tous ses congénères d’ailleurs. Tant mieux s’ils s’en prennent pour leur grade en cette période de crise financière, ce n’est que le juste retour de manivelle.

Et ne vous inquiétez pas pour moi. Avec beaucoup de patience et encore plus d’assiduité investie dans la fréquentation des troquets en tous genres, j’arriverai sans aucun doute à accumuler assez de piécettes pour combler le trou de mon fond d’investissement. Cinq cent francs, au final, ça ne représente que deux chopes remplies de monnaie.

samlegrand

3 Réponses to “Mon banquier est un bel enfoiré”

  1. blongo said

    Malheureux Samlegrand, berné par un enfoirée. C’est drôle, mais blongo est également aller voir son banquier il y a à peu près une année, sans tas de piécettes, mais avec l’idée, comme toi, de faire quelque chose avec son compte courant, conseillé par un avenant cravaté qui affirmait « Oh mais, stupide inconscient, comment pouvez-vous garder tout cet argent (une somme mirobolante, il faut l’avouer…) sur un compte qui ne rapporte pas des milliers de francs? ». Bref, le gars en question a fait le même discours hyprocritement vendeur. Pas intéressé par Wall Street et ses petits cons prétentieux, j’ai refusé d’investir mon maigre pécule dans la finance mondiale, au grand dam du requin pour qui mon ignorance béate relevait de l’asile de fous. Je ne regrette pas maintenant, même si, alors, je me sentais vraiment con après la discussion de ne pas vouloir gagner des millions de francs par un simple clic de souris bancaire…

  2. Coquelicot said

    « Mon banquier est un enfoiré » est un pléonasme !!
    Faites gaffe, merde !!

    @+
    Guy

  3. Ychat said

    Il doivent tous aller a la même école et apprendre le même discours.
    Mon banquier, Thierry, pour ne pas le citer, m’appelle un beau jour de septembre 2010 sur mon portable pour me proposer ce fameux placement a 4%… et bien sur il ne restait que 2 jours avant que la vente ne soit clôturée…
    Bla bla bla, ce serait dommage de ne pas en profiter… bla bla bla… j’ai pensé a vous… bla bla bla… j’ai mis une option jusqu’à ce soir… bla bla bla…
    Et comme un con que je suis… j’ai dit « ok, si vous me dites que c’est intéressant et garanti… LUI: oui oui capital garanti a l’échéance dans le pire des cas… bla bla bla…
    Moi: ok va pour 48 000 euros!!! je raccroche et retourne a mon poste…
    aujourd’hui, mes 48000 euros valent grâce a ce placement « sans risque », … 35000 euros!!! soit 13 000 euros de pertes en 1 an!!! mais bon, je suis confiant! puisque THIERRY m’a dit que c’était sans risque et que mon capital était garanti a l’échéance… tiens donc? au fait, c’est quand cette échéance? ahhhh!!! en 2022!!!!!!!!!!!!

    Pour info voici le merveilleux placement : FR0010941021 la cote est aujourd’hui a 71,68 % de la valeur initiale.. au moins les 4% annuels d’intérêt ne sont plus qu’en réalité a 2,86 % (desquels il faut déduire les impôts)!!!!
    Mais en 2022 je retrouverait mon capital initial!! quel veinard je suis! sauf si jamais j’ai besoin de cet argent entre temps (48 000 euros.. ça peut servir a autre chose qu’a dormir dans une banque!!) car la c’est le cours du moment qui s’appliquera, et j’ai comme l’impression qu’il ne remontera pas de sitôt!!

    Merci le C.A!!!

    @+
    Yves

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